avait provisionné une partie des retraites de ses fonctionnaires, comme le fait le Sénat, il aurait économisé 35 milliards d’euros en 2023. Mieux, il aurait réalisé 60 milliards d’économies s’il avait provisionné toutes les retraites de ses personnels, comme le fait la Banque de France pour les pensions de ses agents.Plutôt que de vider définitivement le Fonds de réserve des retraites, il faudrait donc le renforcer, quitte à financer cet investissement par de l’endettement, à l’instar des projets de nos voisins allemands ou espagnols. Si le FRR se voyait confier le provisionnement des retraites de la fonction publique d’Etat, une montée en puissance sur une quarantaine d’années, avec 1 % du PIB investi par an, permettrait de créer un fonds souverain représentant 90 % du PIB. D’ici à 2070, les intérêts dégagés permettraient de financer l’intégralité des retraites versées par l’Etat à ses personnels et la charge d’intérêt liée à la montée en puissance du fonds. Accessoirement, nous disposerions d’un fonds souverain, dont une partie serait investie en France et en Europe, zones où l’innovation et la croissance sont à la traîne, faute de financements de long terme. Si l’on veut préserver nos retraites, il faut accepter d’investir, ce qui devrait aussi rassurer les marchés financiers, inquiets de l’incapacité de la France à corriger ses lacunes structurelles.* Nicolas Marques est directeur général de l’Institut économique Molinari
Livres : l’incroyable vie de la religieuse et résistante Yvonne-Aimée de Malestroit
https://www.lexpress.fr/culture/livre/livres-lincroyable-vie-de-la-religieuse-et-resistante-yvonne-aimee-de-malestroit-JKEF74CSLRFYPEFU6TI623FQCI/
Les femmes plus ou moins oubliées à réhabiliter (comme l’a fait Olivier Guez avec Gertrude Bell à la dernière rentrée) sont devenues un marronnier marketing. Jean de Saint-Cheron a trouvé un créneau plus original : sortir de la naphtaline des figures religieuses féminines et en parler de manière très vivante, drôle même, dans le sillage d’une certaine sainte trinité littéraire formée par Léon Bloy, Charles Péguy et Georges Bernanos. Deux ans après un livre sur sainte Thérèse de Lisieux (Eloge d’une guerrière), qui a été un succès de librairie, Saint-Cheron revient avec un sujet plus pointu : Malestroit raconte l’incroyable vie d’Yvonne Beauvais (1901-1951), qui fut bien plus que "puissante", "inspirante" ou autre épithète creuse – ce n’est pas le général de Gaulle qui nous contredira, nous y reviendrons.Née dans la bourgeoisie, la jeune Yvonne avait un destin tout tracé : épouser un ingénieur et lui donner une nombreuse descendance. Problème : dès la petite enfance, elle découvre Histoire d’une âme de Thérèse de Lisieux, et veut l’imiter. Très tôt, elle sert les pauvres dans les quartiers les plus déshérités de la banlieue parisienne. Elle renonce à se marier et devient bonne sœur à Malestroit, en Bretagne. Souffrant de migraines encore pires que celles de Blaise Pascal, elle n’est pas banale : des fleurs apparaissent dans sa bouche, elle combat le diable physiquement, porte les stigmates du Christ et a le don de bilocation (elle peut se trouver à deux endroits en même temps) – oui, ce récit s’aventure dans le surnaturel, diront les croyants ; ou dans le paranormal, répondront les incrédules. Quand éclate la Seconde Guerre mondiale, Yvonne s’engage dans la Résistance. La clinique qu’elle a ouverte à Malestroit lui permet de soigner des dizaines de blessés. Elle cache des juifs, des maquisards et des parachutistes alliés avant et après avoir été torturée par la Gestapo. En juin 1945, elle reçoit la croix de guerre avec palme. Un mois plus tard, de Gaulle en personne fait le déplacement à Vannes pour lui remettre la Légion d’honneur. Après s’être découvert, il salue la "magnifique conduite" de cette nonne pas comme les autres. Elle deviendra son ange gardien, ainsi que celui de son épouse. Yvonne de Gaulle voue en effet une sorte de culte à Yvonne Beauvais – à partir de 1945, elle conservera sur elle une image de la religieuse. Le 22 août 1962, après que 14 balles tirées au fusil-mitrailleur auront atteint la DS présidentielle lors de l’attentat du Petit-Clamart, la première dame de France sera formelle : son couple doit son salut à la protection de l’autre Yvonne, qui veille sur eux de là -haut. Tout le monde n’aura pas cette dévotion. Après sa mort en 1951, un dossier de canonisation d’Yvonne avait été déposé au Vatican. Mais, en 1960, le cardinal Ottaviani s’oppose à ce qu’on aille plus loin dans l’étude de son cas, pour ce motif hallucinant de la part d’un homme d’Eglise : "Trop de miracles." S’il était encore de ce monde, Ottaviani aurait des sueurs froides en lisant Malestroit…Loin de l'idéologieLes esprits retors noteront que ce livre sort chez Grasset, donc chez Hachette, propriété de Vincent Bolloré. L’hagiographie d’une religieuse du Morbihan, voilà qui a tout pour enchanter le milliardaire breton. Après avoir fait du prosélytisme dans ses médias (à Paris Match hier, au JDD aujourd’hui), va-t-il désormais transformer ses maisons d’édition en couvents et presbytères ? L’an dernier, Amandine Cornette de Saint Cyr a bien marché avec Au secours sainte Rita, publié chez Fayard, autre filiale d’Hachette. Rassurons les bouffeurs de curés : Vincent Bolloré n’est pas encore doué de bilocation, et il n’a pas le temps de dicter leurs livres aux auteurs de son groupe. En retraçant le parcours d’Yvonne
https://www.lexpress.fr/culture/livre/livres-lincroyable-vie-de-la-religieuse-et-resistante-yvonne-aimee-de-malestroit-JKEF74CSLRFYPEFU6TI623FQCI/
Les femmes plus ou moins oubliées à réhabiliter (comme l’a fait Olivier Guez avec Gertrude Bell à la dernière rentrée) sont devenues un marronnier marketing. Jean de Saint-Cheron a trouvé un créneau plus original : sortir de la naphtaline des figures religieuses féminines et en parler de manière très vivante, drôle même, dans le sillage d’une certaine sainte trinité littéraire formée par Léon Bloy, Charles Péguy et Georges Bernanos. Deux ans après un livre sur sainte Thérèse de Lisieux (Eloge d’une guerrière), qui a été un succès de librairie, Saint-Cheron revient avec un sujet plus pointu : Malestroit raconte l’incroyable vie d’Yvonne Beauvais (1901-1951), qui fut bien plus que "puissante", "inspirante" ou autre épithète creuse – ce n’est pas le général de Gaulle qui nous contredira, nous y reviendrons.Née dans la bourgeoisie, la jeune Yvonne avait un destin tout tracé : épouser un ingénieur et lui donner une nombreuse descendance. Problème : dès la petite enfance, elle découvre Histoire d’une âme de Thérèse de Lisieux, et veut l’imiter. Très tôt, elle sert les pauvres dans les quartiers les plus déshérités de la banlieue parisienne. Elle renonce à se marier et devient bonne sœur à Malestroit, en Bretagne. Souffrant de migraines encore pires que celles de Blaise Pascal, elle n’est pas banale : des fleurs apparaissent dans sa bouche, elle combat le diable physiquement, porte les stigmates du Christ et a le don de bilocation (elle peut se trouver à deux endroits en même temps) – oui, ce récit s’aventure dans le surnaturel, diront les croyants ; ou dans le paranormal, répondront les incrédules. Quand éclate la Seconde Guerre mondiale, Yvonne s’engage dans la Résistance. La clinique qu’elle a ouverte à Malestroit lui permet de soigner des dizaines de blessés. Elle cache des juifs, des maquisards et des parachutistes alliés avant et après avoir été torturée par la Gestapo. En juin 1945, elle reçoit la croix de guerre avec palme. Un mois plus tard, de Gaulle en personne fait le déplacement à Vannes pour lui remettre la Légion d’honneur. Après s’être découvert, il salue la "magnifique conduite" de cette nonne pas comme les autres. Elle deviendra son ange gardien, ainsi que celui de son épouse. Yvonne de Gaulle voue en effet une sorte de culte à Yvonne Beauvais – à partir de 1945, elle conservera sur elle une image de la religieuse. Le 22 août 1962, après que 14 balles tirées au fusil-mitrailleur auront atteint la DS présidentielle lors de l’attentat du Petit-Clamart, la première dame de France sera formelle : son couple doit son salut à la protection de l’autre Yvonne, qui veille sur eux de là -haut. Tout le monde n’aura pas cette dévotion. Après sa mort en 1951, un dossier de canonisation d’Yvonne avait été déposé au Vatican. Mais, en 1960, le cardinal Ottaviani s’oppose à ce qu’on aille plus loin dans l’étude de son cas, pour ce motif hallucinant de la part d’un homme d’Eglise : "Trop de miracles." S’il était encore de ce monde, Ottaviani aurait des sueurs froides en lisant Malestroit…Loin de l'idéologieLes esprits retors noteront que ce livre sort chez Grasset, donc chez Hachette, propriété de Vincent Bolloré. L’hagiographie d’une religieuse du Morbihan, voilà qui a tout pour enchanter le milliardaire breton. Après avoir fait du prosélytisme dans ses médias (à Paris Match hier, au JDD aujourd’hui), va-t-il désormais transformer ses maisons d’édition en couvents et presbytères ? L’an dernier, Amandine Cornette de Saint Cyr a bien marché avec Au secours sainte Rita, publié chez Fayard, autre filiale d’Hachette. Rassurons les bouffeurs de curés : Vincent Bolloré n’est pas encore doué de bilocation, et il n’a pas le temps de dicter leurs livres aux auteurs de son groupe. En retraçant le parcours d’Yvonne
Beauvais, Saint-Cheron ne fait jamais d’idéologie (croisade anti-woke, etc.). Il parvient même à citer Françoise d’Eaubonne, la philosophe écoféministe qui, en 1971, fut cofondatrice du flamboyant Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) ! La façon qu’il a de dépoussiérer ce genre littéraire a priori suprêmement ringard qu’est la vie de saint rappelle le Yann Moix de Mort et vie d’Edith Stein, paru en 2008. On sent, surtout dans la deuxième partie du récit, où il met en scène des nazis qui semblent échappés de La Grande Vadrouille, que Saint-Cheron s’émancipe des archives sur lesquelles il travaille pour flirter avec la fiction. Se convertira-t-il pour de bon au roman à l’avenir ? On suivra de près ses prochains livres.Malestroit, par Jean de Saint-Cheron. Grasset, 215 p., 20 €.
Rodéo sur des cerfs et dessins à la craie : ces macaques japonais qui intriguent les scientifiques
https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sciences/les-observer-cest-tenter-de-nous-comprendre-les-macaques-japonais-intriguent-les-scientifiques-FKT3GATO6BHORHEOINAOD7ALYA/
Le décor semble tout droit sorti du film Princesse Mononoké de Hayao Miyazaki. Le réalisateur japonais s’en était d’ailleurs largement inspiré pour reproduire les forêts de mousse où se déroule l’intrigue de son chef-d’oeuvre. Lîle-volcan de Yakushima est une merveille de biodiversité : alors que des tortues viennent pondre sur ses plages au climat chaud, il peut neiger au même moment à son sommet. C’est au cœur de ce paysage onirique qu’a été observé un comportement culturel étonnant entre deux espèces qui n’ont, à première vue, rien en commun : des macaques et des cerfs sika pratiquent… le rodéo. Ici, les singes s’amusent à monter sur le dos des cerfs et à y rester quelques secondes, voire quelques minutes pour les ongulés les plus tolérants. Une tradition très connue par les chercheurs et les habitants de l’île, qui reste pourtant difficile à observer.Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce comportement n’a pas fini d’intriguer les scientifiques. En janvier 2017, une vidéo d’un jeune macaque japonais ayant une relation sexuelle avec une biche sur cette île japonaise avait fait le tour du monde. Ces images documentaient, pour la première fois, une pratique sexuelle interespèce chez un primate, humain excepté. Un événement exceptionnel, pensait-on, bien qu’on sache désormais qu’il constitue une pratique relativement courante. Près de huit ans plus tard, deux nouvelles études publiées dans les revues scientifiques Primates et Cultural Science publiées fin décembre 2024 proposent des pistes de réflexion autour de ce comportement, dont l’aspect sexuel n’est en réalité qu’une composante parmi d’autres dans la relation entre macaques et cerfs. Pourquoi les macaques font-ils cela, et pourquoi les cerfs l’acceptent-ils ? Quel lien faire avec l’Homme ? Quelques jours plus tard, le 7 janvier dernier, une autre analyse scientifique publiée là encore dans Primates tente d’éclaircir un autre mystère : que signifient ces marques laissées par simple manipulation de pierres et de craies sur le sol par ces macaques ? Le Français Cédric Sueur, éthologue au CNRS, spécialiste des comportements collectifs chez les primates, et à l’origine de ces publications, allant jusqu’à se demander si les humains n’avaient pas commencé à dessiner par accident. "Cela offre une fascinante fenêtre sur l’émergence involontaire du dessin dans notre histoire évolutive", précise-t-il. Entretien.L’Express : Près de huit ans ont passé entre la première observation d’un acte sexuel entre un macaque japonais et un cerf sika, ce qui avait alors fait le tour du monde. Deux études publiées récemment montrent, notamment, que ce comportement n’est qu’une composante des liens qui unissent les singes et les ongulés sur l’île de Yakushima. Quelles sont vos conclusions ?Cédric Sueur : En réalité, cela fait assez longtemps qu’on sait que les macaques font du rodéo sur des cerfs à Yakushima. Le problème, c’est qu’il n’y avait jamais eu d’étude scientifique réalisée sur le temps long qui tenterait de comprendre les avantages de présenter ce comportement pour les macaques et les cerfs. Et c’est ce qu’on a voulu faire. J’ai donc demandé à des chercheurs nippons de m’envoyer leurs vidéos. On a pu en analyser plus d’une vingtaine qui montrent des "rodéos" qui s’étalent sur plusieurs années. En réalité, on pourrait penser que c’est un comportement facilement observable, mais ce n’est pas du tout le cas. Je suis récemment allé à Yakushima pendant cinq jours, et je n’ai pu l’observer que durant deux petites secondes. C’est donc quelque chose d’assez rare.Ce qui est intéressant dans nos conclusions, c’est que le comportement sexuel n’est qu’un aspect des interactions entre ces deux espèces. On a pu constater que de
https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sciences/les-observer-cest-tenter-de-nous-comprendre-les-macaques-japonais-intriguent-les-scientifiques-FKT3GATO6BHORHEOINAOD7ALYA/
Le décor semble tout droit sorti du film Princesse Mononoké de Hayao Miyazaki. Le réalisateur japonais s’en était d’ailleurs largement inspiré pour reproduire les forêts de mousse où se déroule l’intrigue de son chef-d’oeuvre. Lîle-volcan de Yakushima est une merveille de biodiversité : alors que des tortues viennent pondre sur ses plages au climat chaud, il peut neiger au même moment à son sommet. C’est au cœur de ce paysage onirique qu’a été observé un comportement culturel étonnant entre deux espèces qui n’ont, à première vue, rien en commun : des macaques et des cerfs sika pratiquent… le rodéo. Ici, les singes s’amusent à monter sur le dos des cerfs et à y rester quelques secondes, voire quelques minutes pour les ongulés les plus tolérants. Une tradition très connue par les chercheurs et les habitants de l’île, qui reste pourtant difficile à observer.Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce comportement n’a pas fini d’intriguer les scientifiques. En janvier 2017, une vidéo d’un jeune macaque japonais ayant une relation sexuelle avec une biche sur cette île japonaise avait fait le tour du monde. Ces images documentaient, pour la première fois, une pratique sexuelle interespèce chez un primate, humain excepté. Un événement exceptionnel, pensait-on, bien qu’on sache désormais qu’il constitue une pratique relativement courante. Près de huit ans plus tard, deux nouvelles études publiées dans les revues scientifiques Primates et Cultural Science publiées fin décembre 2024 proposent des pistes de réflexion autour de ce comportement, dont l’aspect sexuel n’est en réalité qu’une composante parmi d’autres dans la relation entre macaques et cerfs. Pourquoi les macaques font-ils cela, et pourquoi les cerfs l’acceptent-ils ? Quel lien faire avec l’Homme ? Quelques jours plus tard, le 7 janvier dernier, une autre analyse scientifique publiée là encore dans Primates tente d’éclaircir un autre mystère : que signifient ces marques laissées par simple manipulation de pierres et de craies sur le sol par ces macaques ? Le Français Cédric Sueur, éthologue au CNRS, spécialiste des comportements collectifs chez les primates, et à l’origine de ces publications, allant jusqu’à se demander si les humains n’avaient pas commencé à dessiner par accident. "Cela offre une fascinante fenêtre sur l’émergence involontaire du dessin dans notre histoire évolutive", précise-t-il. Entretien.L’Express : Près de huit ans ont passé entre la première observation d’un acte sexuel entre un macaque japonais et un cerf sika, ce qui avait alors fait le tour du monde. Deux études publiées récemment montrent, notamment, que ce comportement n’est qu’une composante des liens qui unissent les singes et les ongulés sur l’île de Yakushima. Quelles sont vos conclusions ?Cédric Sueur : En réalité, cela fait assez longtemps qu’on sait que les macaques font du rodéo sur des cerfs à Yakushima. Le problème, c’est qu’il n’y avait jamais eu d’étude scientifique réalisée sur le temps long qui tenterait de comprendre les avantages de présenter ce comportement pour les macaques et les cerfs. Et c’est ce qu’on a voulu faire. J’ai donc demandé à des chercheurs nippons de m’envoyer leurs vidéos. On a pu en analyser plus d’une vingtaine qui montrent des "rodéos" qui s’étalent sur plusieurs années. En réalité, on pourrait penser que c’est un comportement facilement observable, mais ce n’est pas du tout le cas. Je suis récemment allé à Yakushima pendant cinq jours, et je n’ai pu l’observer que durant deux petites secondes. C’est donc quelque chose d’assez rare.Ce qui est intéressant dans nos conclusions, c’est que le comportement sexuel n’est qu’un aspect des interactions entre ces deux espèces. On a pu constater que de
jeunes mâles en marge du groupe s’adonnaient à cette pratique sur des biches parce qu’ils n’avaient pas accès aux femelles, réservées au mâle dominant, en période de reproduction. Concernant les femelles, il s’agit là encore de jeunes individus encore adolescentes et rejetées par les mâles qui satisfont leurs envies de cette manière. C’est donc un manque d’accès à la reproduction qui crée ce comportement. Mais ils savent très bien que c’est un cerf, et non un macaque ! D’ailleurs, cette frustration sexuelle se manifeste de différentes manières, puisqu’on observe aussi des femelles qui se frottent l’une sur l’autre mais aussi face à face, comme les bonobos. Les mâles, eux, peuvent aussi avoir en complément des pratiques masturbatoires.Mais le sexe n’est pas la seule explication de ce comportement de type "rodéo" ?Non, effectivement, il n’y a pas un rapport sexuel à chaque fois. On a également pu observer que le cerf cherche à attirer le singe sur son dos afin de jouer avec lui ; mais aussi un comportement thermorégulateur quand le macaque s’allonge complètement sur le dos du cervidé afin qu’ils se réchauffent mutuellement. Il y a aussi le toilettage qui permet à l’un de se nourrir des puces, et à l’autre de se débarrasser des parasites. Par ailleurs, on s’est rendu compte que, si certains cerfs acceptent sans problème d’avoir le macaque sur leur dos, d’autres sont très agressifs. On ne sait pas pourquoi ils refusent d’être montés, si c’est juste une question de personnalité ou d’affinité. Enfin, on a voulu tester l’hypothèse d’un déplacement : les singes se servent-ils des ongulés pour faire de longues distances, comme nous avec un cheval ? Mais on n’a pas observé cela sur le terrain.On ne peut observer des singes faire du rodéo sur des cerfs que sur l’île de Yakushima ?Pas forcément. C’est vrai que c’est très connu dans cette région, ils en font même la publicité dans les magasins. Mais à côté d’Osaka, des chercheurs canadiens ont aussi observé des singes qui avaient ce comportement.S’agit-il d’un comportement ancien, ou est-ce seulement récemment que les macaques ont décidé de monter sur des cerfs ?C’est un point intéressant. En Chine comme au Japon, on va retrouver beaucoup de figurines qui montrent des macaques monter sur des chevaux. Les macaques représentent les messagers des dieux, et ils font le lien entre le cheval et l’humain. J’ai par exemple chez moi une figurine qui date d’un peu plus de 100 ans où on voit cela. Sur des parchemins japonais datant des XIIe et XIIIe siècles, on a également une série d’animaux quelque peu anthropomorphisés, dont un macaque assis sur un cerf. Cela veut-il dire qu’il s’agit d’un comportement ancien ? On ne le sait pas. Cela peut aussi être le fruit de l’imagination des dessinateurs et sculpteurs de l’époque.
Des macaques sur l'île de Yakushima, au Japon.On dit souvent que "l’Homme descend du singe", mais il serait plus correct de dire que nous sommes, nous aussi, des primates. Quel lien faites-vous entre ce comportement et notre espèce ?Pourquoi les cerfs et les macaques se sont-ils rapprochés sur cette île japonaise précisément ? En réalité, les cerfs sika n’ont plus de prédateur naturel depuis la disparition du loup japonais au tout début du XXe siècle. Ils se sont donc reproduits, et sont aujourd’hui en surpopulation. Conséquence : ils manquent de nourriture car plus aucune plante ne pousse sur le sol, au point que certains sont contraints de manger leurs excréments. Se rapprocher des singes leur permet donc de profiter des feuilles ou des fruits qui tombent des arbres où vivent les macaques. Les singes, eux, en profitent pour se nourrir de leurs poux ou pour se réchauffer. C’est gagnant-gagnant en quelque sorte. Tout cela nous fait penser au rapprochement entre l’Homme et le cheval, ou entre l’Homme et le loup, ce qui aboutira au final à un processus de domestication. Les deux espèces y trouvaient un intérêt.Mais ce n’est pas tout. En Arabie saoudite par exemple, des groupes de babouins volent régulièrement des chiots. Ils les habituent à vivre dans leur groupe, les nourrissent, et les chiens devenus adultes les protègent des autres canidés qui viendraient attaquer les bébés babouins. Il y a là aussi presque un processus de domestication qui serait à l’œuvre, sans l’aspect de modification génétique bien entendu comme ça a pu être le cas entre l’homme et le loup.On a longtemps cru que la culture était réservée à l’Homme. On sait aujourd’hui que la plupart des animaux possèdent des comportements dits "culturels". Peut-on parler de culture, selon vous, quand on observe les macaques japonais ?Qu’est-ce qu’une culture ? Il s’agit d’un comportement présent dans une ou plusieurs populations, absent dans une ou plusieurs autres populations, et qui ne peut pas s’expliquer par une différence écologique. On est donc parfaitement dans ce cas de figure. On sait que c’est présent à Yakushima et à côté d’Osaka, mais qu’on ne l’observe pas dans d’autres endroits du Japon où il y a des cerfs et des singes qui cohabitent. La question est désormais de savoir comment ce comportement est né, et d’observer si ça se propage ou non.Il est aujourd’hui nécessaire d’incorporer les comportements culturels dans les programmes de conservation des espèces animales. Aujourd’hui, on parle uniquement de nombre d’individus et de patrimoine génétique quand on souhaite sauver une espèce, mais sauver ce patrimoine culturel chez les animaux est tout aussi essentiel. On s’est rendu compte qu’un programme de sauvegarde d’une espèce peut échouer si on ne prend pas en compte cet aspect.Dans une autre étude que vous avez publiée le 7 janvier dernier, vous étudiez la pratique du dessin chez les macaques japonais. Avec cette question : et si les humains avaient commencé à dessiner par accident ?L’utilisation de technologies complexes par les humains (Homo sapiens) et leurs ancêtres est une caractéristique clé de notre évolution, marquée par l’apparition des outils en pierre il y a 3,3 millions d’années. Ces technologies reflètent une complexité cognitive et une compréhension avancée des matériaux et des mécanismes. L’étude des primates actuels, en particulier ceux qui utilisent des pierres, offre un éclairage sur l’évolution des comportements humains.En particulier, la manipulation de pierres par les macaques suggère que certains comportements complexes chez les humains, tels que la création d’outils tranchants et bifaces, pourraient être apparus de manière non intentionnelle. Les macaques japonais de Shodoshima ont ainsi été observés en train de laisser des marques sur le sol à l’aide de pierres et de craies. En analysant cette manipulation des pierres, je propose que le dessin chez les humains pourrait être apparu de manière involontaire ; ces origines non
intentionnelles des comportements de marquage pourraient représenter les premiers précurseurs du dessin humain.
Guerre en Ukraine : Kiev dit interroger deux soldats nord-coréens faits prisonniers
https://www.lexpress.fr/environnement/guerre-en-ukraine-kiev-dit-interroger-deux-soldats-nord-coreens-faits-prisonniers-B7H57UFVSFBIJOSQT5Z2DNCIC4/
C’est une preuve supplémentaire de la présence de soldats nord-coréens (https://www.lexpress.fr/monde/europe/des-soldats-nord-coreens-combattent-en-russie-les-etats-unis-promettent-une-reponse-ferme-ZG7PGWW2EBDYPAFPBONJN4XOMA/) envoyés combattre aux côtés de l’armée russe. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky (https://www.lexpress.fr/monde/europe/exclusif-volodymyr-zelensky-le-portrait-inedit-dun-president-en-guerre-LQRSZWUSBBBOXH5HCS3KYP53HM/) a affirmé, ce samedi 11 janvier, que ses troupes avaient fait prisonniers, dans la région russe de Koursk (https://www.lexpress.fr/monde/europe/guerre-en-ukraine-kiev-lance-de-nouvelles-operations-offensives-dans-la-region-russe-de-koursk-BVPSZFLXB5GRPNIRVSP4FUWP7E/), deux Nord-coréens, ensuite transférés à Kiev où ils sont désormais interrogés."Ce sont deux soldats qui, bien que blessés, ont survécu et ont été acheminés à Kiev où ils parlent avec des enquêteurs du SBU", les services de sécurité ukrainiens, a-t-il déclaré sur Telegram."Ce n’était pas une tâche aisée : généralement, les Russes et les autres soldats nord-coréens achèvent leurs blessés et font tout pour effacer les preuves de la participation d’un autre Etat, la Corée du Nord, à la guerre contre l’Ukraine", a poursuivi le président ukrainien."Le monde doit savoir ce qu’il se passe"Le dirigeant a accompagné son message de photos en détention des deux militaires présumés. L’un d’eux a des pansements visibles autour des mains, l’autre autour du menton. Selon Volodymyr Zelensky, ces prisonniers reçoivent "toute l’aide médicale nécessaire". Il a affirmé avoir ordonné au SBU de fournir à la presse un accès aux détenus. "Le monde doit savoir ce qu’il se passe", a-t-il indiqué.Fin décembre 2024, le chef d’Etat avait déclaré que des soldats nord-coréens très grièvement blessés étaient morts en Ukraine après avoir été faits prisonniers. Selon Kiev, 12 000 soldats nord-coréens, dont environ 500 officiers, se trouvent dans la région de Koursk, dont l’armée ukrainienne occupe plusieurs centaines de kilomètres carrés depuis août. Ni la Russie ni la Corée du Nord n’ont confirmé la présence de ce contingent.
https://www.lexpress.fr/environnement/guerre-en-ukraine-kiev-dit-interroger-deux-soldats-nord-coreens-faits-prisonniers-B7H57UFVSFBIJOSQT5Z2DNCIC4/
C’est une preuve supplémentaire de la présence de soldats nord-coréens (https://www.lexpress.fr/monde/europe/des-soldats-nord-coreens-combattent-en-russie-les-etats-unis-promettent-une-reponse-ferme-ZG7PGWW2EBDYPAFPBONJN4XOMA/) envoyés combattre aux côtés de l’armée russe. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky (https://www.lexpress.fr/monde/europe/exclusif-volodymyr-zelensky-le-portrait-inedit-dun-president-en-guerre-LQRSZWUSBBBOXH5HCS3KYP53HM/) a affirmé, ce samedi 11 janvier, que ses troupes avaient fait prisonniers, dans la région russe de Koursk (https://www.lexpress.fr/monde/europe/guerre-en-ukraine-kiev-lance-de-nouvelles-operations-offensives-dans-la-region-russe-de-koursk-BVPSZFLXB5GRPNIRVSP4FUWP7E/), deux Nord-coréens, ensuite transférés à Kiev où ils sont désormais interrogés."Ce sont deux soldats qui, bien que blessés, ont survécu et ont été acheminés à Kiev où ils parlent avec des enquêteurs du SBU", les services de sécurité ukrainiens, a-t-il déclaré sur Telegram."Ce n’était pas une tâche aisée : généralement, les Russes et les autres soldats nord-coréens achèvent leurs blessés et font tout pour effacer les preuves de la participation d’un autre Etat, la Corée du Nord, à la guerre contre l’Ukraine", a poursuivi le président ukrainien."Le monde doit savoir ce qu’il se passe"Le dirigeant a accompagné son message de photos en détention des deux militaires présumés. L’un d’eux a des pansements visibles autour des mains, l’autre autour du menton. Selon Volodymyr Zelensky, ces prisonniers reçoivent "toute l’aide médicale nécessaire". Il a affirmé avoir ordonné au SBU de fournir à la presse un accès aux détenus. "Le monde doit savoir ce qu’il se passe", a-t-il indiqué.Fin décembre 2024, le chef d’Etat avait déclaré que des soldats nord-coréens très grièvement blessés étaient morts en Ukraine après avoir été faits prisonniers. Selon Kiev, 12 000 soldats nord-coréens, dont environ 500 officiers, se trouvent dans la région de Koursk, dont l’armée ukrainienne occupe plusieurs centaines de kilomètres carrés depuis août. Ni la Russie ni la Corée du Nord n’ont confirmé la présence de ce contingent.
L’exposition à voir : Jean-Jacques Henner et ses drôles de dames
https://www.lexpress.fr/culture/art/lexposition-a-voir-jean-jacques-henner-et-ses-droles-de-dames-4GEEUOI4NNDHLNXS3RRB3TCQGU/
Dorothy, Juana, Marie… Dans les dernières décennies du XIXe siècle, elles ont manié le pinceau sous la tutelle de leur illustre professeur et connu des fortunes diverses.
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Dorothy, Juana, Marie… Dans les dernières décennies du XIXe siècle, elles ont manié le pinceau sous la tutelle de leur illustre professeur et connu des fortunes diverses.
Mark Burnett, l'homme sans qui Donald Trump n'aurait jamais été président
https://www.lexpress.fr/monde/amerique/mark-burnett-lhomme-sans-qui-donald-trump-naurait-jamais-ete-president-SSHZNLJXG5AHNFAYZRTKUW5MEI/
Il suffit parfois d’une seule idée pour changer une vie et devenir immensément riche. Mark Burnett, 64 ans, en sait quelque chose. Voilà deux décennies, c’est lui qui a inventé l’émission de télé-réalité The Apprentice, qui a relancé la carrière déclinante de Donald Trump (https://www.lexpress.fr/monde/amerique/donald-trump_1702460.html) et placé ce dernier sur une rampe de lancement vers la réussite que l’on sait. Depuis, Burnett, fils d’ouvrier né dans la banlieue est de Londres, a accumulé une fortune évaluée à 500 millions de dollars. Pas mal pour un ancien parachutiste de l’armée britannique engagé dans la guerre des Malouines (1982) à l’âge de 22 ans, devenu vendeur de tee-shirts sur la promenade de Venice Beach, à Los Angeles, puis, dans les années 1990, producteur de télévision à Hollywood."Trump passait pour un mariole"A l’époque, Burnett – dont l’itinéraire est raconté par le journaliste d’investigation Patrick Radden Reefe dans le formidable Voleurs ! Bandits ! Escrocs ! publié ces jours-ci chez Belfond – n’est encore qu’un producteur parmi d’autres. Cependant, en 1997, il découvre le programme de télé-réalité suédois Expedition Robinson. Il en rachète les droits et s’empresse de le renommer Survivor l’année suivante – la version française, lancée en 2001, s’appelle Koh-Lanta. L’émission est un carton d’audience. "Burnett était un second couteau à Hollywood mais ce triomphe a fait de lui un oracle du divertissement", explique Patrick Radden Reefe. Quelques années passent et Burnett, qui a les dents longues, invente un nouveau concept : Survivor, mais en ville. Des candidats se disputeront un poste dans une entreprise. La jungle urbaine, en somme. Titre de l’émission ? The Apprentice (L’Apprenti). Pour tenir le rôle du grand patron, Burnett a besoin d’une "incarnation". Des chefs d’entreprise de l’establishment new-yorkais sont approchés. Ils refusent.Le producteur pense alors à un certain Donald Trump. Célèbre depuis les années 1980, il a façonné son personnage grâce au best-seller The Art of the Deal. Depuis, son empire immobilier vacille. Accumulant les faillites, il est pour ainsi dire un has been. "En 2003, il n’était plus qu’un énergumène cantonné à la scène locale, fréquent objet de risée du tabloïd new-yorkais Page Six", rappelle à L’Express Radden Reefe qui, le premier, s’est intéressé au rôle de Burnett dans la vie de Donald Trump. "Il passait pour un mariole, surtout connu pour sa drôle de coupe de cheveux, ses faillites en séries et les robinets en or de son appartement sur la 5e Avenue, dont tout le monde savait qu’ils étaient 'fake'." D’abord, Trump hésite, comme il l’a raconté dans les années 2000 : "Je ne voulais pas avoir des caméras partout dans mon bureau quand je discute avec des entrepreneurs, des politiciens, des mafieux et tous les autres types avec qui je dois parler business. Vous savez, les mafieux n’aimeraient pas qu’il y ait des caméras partout dans la pièce quand ils me parlent."Il invente aussi la punchline "Tu es viré !"Ça tombe bien, le concept de The Apprentice n’a pas grand-chose à voir avec la réalité. Au contraire, l’émission est hautement scénarisée, avec des répliques écrites à l’avance et une mise en scène digne d’un mauvais téléfilm. Tenté, Trump accepte la proposition de Burnett. Indiscipliné, il se montre incapable de respecter le script. Abrasif, il est capable de jeter à la figure d’un candidat : "John, ne le prends pas mal, mais tout le monde te déteste, okay ?" Disruptif mais créatif, il invente au passage la punchline "Tu es viré", marque de fabrique de l’émission. "Trump appartient à la même catégorie que l’ancien président des Philippines Rodrigo Dutertre qui traitait le pape de 'fils de pute', juge Patrick Radden Reefe. A la télé, les personnalités
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Il suffit parfois d’une seule idée pour changer une vie et devenir immensément riche. Mark Burnett, 64 ans, en sait quelque chose. Voilà deux décennies, c’est lui qui a inventé l’émission de télé-réalité The Apprentice, qui a relancé la carrière déclinante de Donald Trump (https://www.lexpress.fr/monde/amerique/donald-trump_1702460.html) et placé ce dernier sur une rampe de lancement vers la réussite que l’on sait. Depuis, Burnett, fils d’ouvrier né dans la banlieue est de Londres, a accumulé une fortune évaluée à 500 millions de dollars. Pas mal pour un ancien parachutiste de l’armée britannique engagé dans la guerre des Malouines (1982) à l’âge de 22 ans, devenu vendeur de tee-shirts sur la promenade de Venice Beach, à Los Angeles, puis, dans les années 1990, producteur de télévision à Hollywood."Trump passait pour un mariole"A l’époque, Burnett – dont l’itinéraire est raconté par le journaliste d’investigation Patrick Radden Reefe dans le formidable Voleurs ! Bandits ! Escrocs ! publié ces jours-ci chez Belfond – n’est encore qu’un producteur parmi d’autres. Cependant, en 1997, il découvre le programme de télé-réalité suédois Expedition Robinson. Il en rachète les droits et s’empresse de le renommer Survivor l’année suivante – la version française, lancée en 2001, s’appelle Koh-Lanta. L’émission est un carton d’audience. "Burnett était un second couteau à Hollywood mais ce triomphe a fait de lui un oracle du divertissement", explique Patrick Radden Reefe. Quelques années passent et Burnett, qui a les dents longues, invente un nouveau concept : Survivor, mais en ville. Des candidats se disputeront un poste dans une entreprise. La jungle urbaine, en somme. Titre de l’émission ? The Apprentice (L’Apprenti). Pour tenir le rôle du grand patron, Burnett a besoin d’une "incarnation". Des chefs d’entreprise de l’establishment new-yorkais sont approchés. Ils refusent.Le producteur pense alors à un certain Donald Trump. Célèbre depuis les années 1980, il a façonné son personnage grâce au best-seller The Art of the Deal. Depuis, son empire immobilier vacille. Accumulant les faillites, il est pour ainsi dire un has been. "En 2003, il n’était plus qu’un énergumène cantonné à la scène locale, fréquent objet de risée du tabloïd new-yorkais Page Six", rappelle à L’Express Radden Reefe qui, le premier, s’est intéressé au rôle de Burnett dans la vie de Donald Trump. "Il passait pour un mariole, surtout connu pour sa drôle de coupe de cheveux, ses faillites en séries et les robinets en or de son appartement sur la 5e Avenue, dont tout le monde savait qu’ils étaient 'fake'." D’abord, Trump hésite, comme il l’a raconté dans les années 2000 : "Je ne voulais pas avoir des caméras partout dans mon bureau quand je discute avec des entrepreneurs, des politiciens, des mafieux et tous les autres types avec qui je dois parler business. Vous savez, les mafieux n’aimeraient pas qu’il y ait des caméras partout dans la pièce quand ils me parlent."Il invente aussi la punchline "Tu es viré !"Ça tombe bien, le concept de The Apprentice n’a pas grand-chose à voir avec la réalité. Au contraire, l’émission est hautement scénarisée, avec des répliques écrites à l’avance et une mise en scène digne d’un mauvais téléfilm. Tenté, Trump accepte la proposition de Burnett. Indiscipliné, il se montre incapable de respecter le script. Abrasif, il est capable de jeter à la figure d’un candidat : "John, ne le prends pas mal, mais tout le monde te déteste, okay ?" Disruptif mais créatif, il invente au passage la punchline "Tu es viré", marque de fabrique de l’émission. "Trump appartient à la même catégorie que l’ancien président des Philippines Rodrigo Dutertre qui traitait le pape de 'fils de pute', juge Patrick Radden Reefe. A la télé, les personnalités
transgressives sont irrésistibles. Vous les écoutez, votre cœur se met à battre un peu plus vite et vous en redemandez.""Le concept de The Apprentice repose sur une d’arnaque"Donald Trump crève l’écran. Mais travailler avec lui n’est pas une sinécure. "Comme il ne suivait pas le déroulé du jeu au jour le jour, le magnat de l’immobilier arrivait régulièrement peu préparé pour la séquence finale", rembobine celui qui est aussi l’une des plumes du prestigieux New Yorker. "Sans trop savoir quel candidat avait tiré son épingle du jeu, il devait prononcer la fameuse phrase : 'Tu es viré'. Parfois, un postulant se distinguait pendant les épreuves, ce qui n’empêchait pas Trump de le renvoyer sur un coup de tête." Dans ces cas-là , les monteurs étaient obligés de "rétroconcevoir" l’épisode, passant en revue des centaines d’heures de rushs pour mettre en avant les rares moments où le candidat avait pu commettre une gaffe. "Ce genre de tour de passe-passe est habituel dans l’industrie de la téléréalité. Toutefois, le concept de The Apprentice reposait sur une sorte d’arnaque."Mark Burnett – également producteur de The Voice – avait initialement prévu de changer de présentateur chaque année, mais il décide de fidéliser Trump. Pendant les dix saisons suivantes, il est l’unique vedette de The Apprentice. Burnett et Trump s’associent à 50-50 et multiplient les placements de produits dans l’émission, ce qui leur rapporte des millions de dollars. Trump en profite aussi pour promouvoir ses propriétés, l’une après l’autre. L’émission est tournée dans l’un de ses appartements de la Trump Tower, qu’il loue à la production. Les candidats organisent des événements au Trump National Golf Club, où ils vendent l’eau en bouteille Trump Ice. Et l’équipe gagnante de la saison 1 remporte le droit de séjourner et de jouer au casino Trump Taj Mahal d’Atlantic City, suivie par des caméras (l’établissement, en faillite, a définitivement fermé ses portes peu après).Saison après saison, l’image de Donald Trump évolue et s’installe dans l’imaginaire des Américains. Les cadreurs de l’émission filment leur vedette en contre-plongée, façon Leni Riefenstahl. "Trump dominait le téléspectateur", lit-on dans Voleurs ! Bandits ! Escrocs ! Ses apparitions étaient chorégraphiées pour un effet maximal, sur fond de musique sombre, à base de batterie et de cymbales électroniques. La "salle du conseil" – le décor dans lequel Trump décidait quel candidat renvoyer – baignait dans le clair-obscur menaçant d’un remake du Parrain. Et l’on voyait Trump faire visiter aux participants son appartement rococo au sommet de la Trump Tower en déclarant : "Je montre cet endroit à très peu de gens. Des présidents, des rois…" Dans le petit monde des tabloïds où il avait longtemps évolué, Trump avait toujours été "Donald". Grâce à The Apprentice, il est enfin devenu M. Trump.
Voleurs ! Escrocs ! Bandits ! de Patrick Radden Keefe (éd. Belfond)"Il incarne l’idée que les pauvres se font des riches", dira l’essayiste Fran Lebowitz. Le financier Jonathan Braun, qui a participé à la saison 1 de l’émission, ajoutera pour sa part : "L’Amérique moyenne a vu toutes ces choses clinquantes, l’hélicoptère et les éviers plaqués or, et elle a vu la personne la plus riche de l’univers. Les gens que je connaissais dans la haute finance ont compris que c’était une vaste plaisanterie." Grace à The Apprentice, la notoriété de Donald Trump – jusque-là cantonnée à New York – atteint en tout cas tous les foyers jusqu’au fin fond du Nebraska. Auprès de Monsieur Tout-le-Monde, il passe désormais pour le "roi de Manhattan" alors qu’il est loin, très loin, d’être un acteur majeur du marché immobilier new-yorkais. Conclusion de Radden Reefe : "En définitive, sa carrière politique repose sur deux 'fakes' : L’Art du deal, le best-seller de 1982 qu’il n’a pas écrit et où il se fait passer pour un businessman hors pair, et The Apprentice, ce programme bidon qui lui a permis de se faire connaître de tous. Sans cette émission, Trump ne serait jamais devenu président.""Un bonimenteur de foire.."En 2015, Trump arrête The Apprentice pour se lancer en politique. La suite est connue. Après Trump 1 à la Maison-Blanche, voici la saison 2 qui démarre le 20 janvier. "Son second mandat sera comme The Celebrity Apprentice, cette version people de The Apprentice. A partir de 2008, cette variante du programme initial mettait en scène des célébrités de seconde catégorie", sourit Radden Reefe. Anisi, Robert F. Kennedy Jr (https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sante/kennedy-jr-a-la-sante-du-catastrophique-du-tres-inquietant-et-quelques-idees-interessantes-PQCCJUCLDZBODECUCPTGFRMLB4/)(nommé à la Santé) et l’ancien présentateur de Fox News Pete Hegseth (https://www.lexpress.fr/monde/amerique/pete-hegseth-le-protege-de-donald-trump-plombe-par-des-scandales-C7LYUH42NNG5VFTACNGMTMD6ZY/) (nommé au Pentagone) seront les célébrités de la présidence à venir.Quant au discret Britannique Mark Burnett, aujourd’hui un fervent chrétien, il vient d’être nommé émissaire du président au Royaume-Uni. Un poste dont les contours restent flous. A New York, Patrick Radden Reefe soupire : "Il restera surtout dans les annales pour avoir offert à un bonimenteur de foire sans cesse en faillite le rôle d’un homme qui avait le potentiel pour devenir le leader du monde libre."
Un disparu nommé Raphaël Glucksmann : ses amitiés renouées, ses hésitations pour 2027…
https://www.lexpress.fr/politique/un-disparu-nomme-raphael-glucksmann-ses-amities-renouees-ses-hesitations-pour-2027-ZTNL5UWUSBHXJF6VO56PBJ4NCU/
Pourquoi sourit-il autant ? Voilà pourtant vingt minutes que Raphaël Glucksmann (https://www.lexpress.fr/politique/victoire-de-trump-ukraine-democraties-europeennes-le-cri-de-colere-de-raphael-glucksmann-NNFYQATPXJBBHLBDQRYAHRN2NA/) plombe l’ambiance. "Il va y avoir la guerre en Europe d’ici à 2029", dit-il les yeux écarquillés, paraphrasant les paroles du ministre de la Défense allemand. Ce constat, il le répète à qui veut l’entendre dans ce café de la place Saint-Georges, à deux pas de chez lui. Au jeune serveur qui lui apporte son thé au miel, par exemple. Donald Trump et les menaces d’annexion du Groenland, Elon Musk et sa mission de déstabilisation des démocraties européennes… A-t-il seulement convaincu ? "Ça ne nous regarde pas", balaie timidement son interlocuteur. "Oh si, ça va vite nous regarder !", ironise-t-il. Raté pour cette fois. Le 20 janvier, il suivra le mouvement et quittera définitivement la plateforme X. "Néron est au pouvoir aux US", reprend-il. "Néron", assure-t-il - mi-fier, mi-grave - il l’a rencontré le 10 mars 2011, lorsqu’il était conseiller spécial du président géorgien, Mikheil Saakachvili. A l’époque, Donald Trump lui avait confié ses ambitions futures. "Avec quel programme ?", avait demandé Glucksmann. "Very simple : because I am the best." Sur le coup, il l’avait méprisé. Dans le fond, l’anecdote le fait un peu marrer. "Parce que c’est un camusien qui oppose la joie à l’absurde du monde !", s’enflamme Saïd Benmouffok, le coordinateur Place publique de Paris. Il faut donc imaginer Sisyphe heureux…"Chaque fois que c’est compliqué, il disparaît"Raphaël Glucksmann a un problème : l’ambition le chatouille… Mais il exècre la façon dont est pratiquée la politique aujourd’hui. Notamment cette injonction faite aux personnalités de tous bords à "commenter tout, tout le temps, tous les jours", convertis à la longue en "employés gratuits dans les chaînes d’information en continu", voire en "chamanes de Pierre Clastres", ces figures indigènes, analysées à la fin du XXe siècle par le sociologue, inaudibles pour le commun des mortels. Avis aux mauvaises langues - dont L’Express - qui le pensaient un tantinet disparu (a minima en retrait) durant ces dernières tractations matignonesques : "S’il n’y a pas de plus-value à ma parole, je ne parle pas", assène celui qui assure "refuser toutes les invitations". Un chef de parti de gauche, plus cruel : "Chaque fois que c’est compliqué, il disparaît."Le reproche lui colle à la peau ? Il avait déjà fait le coup après les dernières législatives. Après que la dissolution a balayé son score honorable aux élections européennes (la table du café en prend un sacré coup quand il se remémore la scène), et après avoir soutenu dans la douleur le Nouveau Front populaire - rompant avec Olivier Faure, patron du PS - il avait disparu de la scène publique, parti passer quelques jours en Corse, puis profiter à pleins tubes des Jeux olympiques au Club France. Jusqu’à sa réapparition, fin août, distribuant quelques taquets à bâbord dans une interview au Point - l’initiative avait fait jaser à gauche. En privé quand il refait l’histoire, il s’estime pris dans la contradiction de sa propre doctrine. "Cet été, j’ai essayé de ne pas faire de tweet pendant deux mois. Les gens me disaient “t'as pas réagi à ça, tu t’en fous ?” J’ai alors saisi le cercle vicieux."Qu’à cela ne tienne. A Noël, après avoir déploré qu’Emmanuel Macron ait ignoré la gauche et plaidé pour un accord de non-censure, il est parti se ressourcer une semaine dans le sud de la France. Le fan de l’AS Roma a pas mal joué au foot avec ses enfants, coupé X et lu quelques bouquins, dont Les Ingénieurs du chaos, le remuant best-seller de Giuliano da Empoli, qui trônait sur sa pile de livres. Sans doute
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Pourquoi sourit-il autant ? Voilà pourtant vingt minutes que Raphaël Glucksmann (https://www.lexpress.fr/politique/victoire-de-trump-ukraine-democraties-europeennes-le-cri-de-colere-de-raphael-glucksmann-NNFYQATPXJBBHLBDQRYAHRN2NA/) plombe l’ambiance. "Il va y avoir la guerre en Europe d’ici à 2029", dit-il les yeux écarquillés, paraphrasant les paroles du ministre de la Défense allemand. Ce constat, il le répète à qui veut l’entendre dans ce café de la place Saint-Georges, à deux pas de chez lui. Au jeune serveur qui lui apporte son thé au miel, par exemple. Donald Trump et les menaces d’annexion du Groenland, Elon Musk et sa mission de déstabilisation des démocraties européennes… A-t-il seulement convaincu ? "Ça ne nous regarde pas", balaie timidement son interlocuteur. "Oh si, ça va vite nous regarder !", ironise-t-il. Raté pour cette fois. Le 20 janvier, il suivra le mouvement et quittera définitivement la plateforme X. "Néron est au pouvoir aux US", reprend-il. "Néron", assure-t-il - mi-fier, mi-grave - il l’a rencontré le 10 mars 2011, lorsqu’il était conseiller spécial du président géorgien, Mikheil Saakachvili. A l’époque, Donald Trump lui avait confié ses ambitions futures. "Avec quel programme ?", avait demandé Glucksmann. "Very simple : because I am the best." Sur le coup, il l’avait méprisé. Dans le fond, l’anecdote le fait un peu marrer. "Parce que c’est un camusien qui oppose la joie à l’absurde du monde !", s’enflamme Saïd Benmouffok, le coordinateur Place publique de Paris. Il faut donc imaginer Sisyphe heureux…"Chaque fois que c’est compliqué, il disparaît"Raphaël Glucksmann a un problème : l’ambition le chatouille… Mais il exècre la façon dont est pratiquée la politique aujourd’hui. Notamment cette injonction faite aux personnalités de tous bords à "commenter tout, tout le temps, tous les jours", convertis à la longue en "employés gratuits dans les chaînes d’information en continu", voire en "chamanes de Pierre Clastres", ces figures indigènes, analysées à la fin du XXe siècle par le sociologue, inaudibles pour le commun des mortels. Avis aux mauvaises langues - dont L’Express - qui le pensaient un tantinet disparu (a minima en retrait) durant ces dernières tractations matignonesques : "S’il n’y a pas de plus-value à ma parole, je ne parle pas", assène celui qui assure "refuser toutes les invitations". Un chef de parti de gauche, plus cruel : "Chaque fois que c’est compliqué, il disparaît."Le reproche lui colle à la peau ? Il avait déjà fait le coup après les dernières législatives. Après que la dissolution a balayé son score honorable aux élections européennes (la table du café en prend un sacré coup quand il se remémore la scène), et après avoir soutenu dans la douleur le Nouveau Front populaire - rompant avec Olivier Faure, patron du PS - il avait disparu de la scène publique, parti passer quelques jours en Corse, puis profiter à pleins tubes des Jeux olympiques au Club France. Jusqu’à sa réapparition, fin août, distribuant quelques taquets à bâbord dans une interview au Point - l’initiative avait fait jaser à gauche. En privé quand il refait l’histoire, il s’estime pris dans la contradiction de sa propre doctrine. "Cet été, j’ai essayé de ne pas faire de tweet pendant deux mois. Les gens me disaient “t'as pas réagi à ça, tu t’en fous ?” J’ai alors saisi le cercle vicieux."Qu’à cela ne tienne. A Noël, après avoir déploré qu’Emmanuel Macron ait ignoré la gauche et plaidé pour un accord de non-censure, il est parti se ressourcer une semaine dans le sud de la France. Le fan de l’AS Roma a pas mal joué au foot avec ses enfants, coupé X et lu quelques bouquins, dont Les Ingénieurs du chaos, le remuant best-seller de Giuliano da Empoli, qui trônait sur sa pile de livres. Sans doute
la lecture n’a-t-elle fait que renforcer son constat : "J’ai l’impression que la classe politique française n’est pas du tout au niveau d’alerte, regrette-t-il. Ma plus-value, c’est d’expliquer que la crise politique intérieure est d’autant plus grave qu’une tempête géopolitique se profile.""Je serai un leader du camp démocrate face aux tempêtes à venir"Avec quels moyens ? "Glucksmann n’est pas dans le jeu parlementaire, or toute la politique du pays se passe à l’Assemblée, souffle un cacique socialiste. Il est loin du ballon, en tribune, coincé dans un dilemme : se taire, ou parler avec une faible valeur." Surplomb forcé ? A l’impossible nul n’est tenu, surtout lorsque l’on ne dispose que d’un seul parlementaire national, Aurélien Rousseau. Mais les ministres sont parfois formidables. Le ministre de l’Economie Eric Lombard (https://www.lexpress.fr/economie/la-methode-gagnante-deric-lombard-le-nouveau-patron-de-bercy-pour-reussir-il-lui-faudra-GIS5S5TK5NCYHPIERJ6BBYDGEI/), par exemple, qui connaît bien Rousseau puisque ce dernier a failli le rejoindre à la Caisse des dépôts et consignations, fait parfois savoir qu’il apprécie Glucksmann, qu’il a connu peu avant de prendre ses fonctions ministérielles. Il les conviera lundi à Bercy (https://www.lexpress.fr/politique/budget-les-discussions-se-poursuivent-avec-la-gauche-qui-se-divise-6OSLUB63KJBOFEV2TYCM6RWUEM/), dans le cadre des consultations liées au budget - une première pour le parti. Place publique défendra les dépenses de santé, s’opposera aux suppressions de postes dans l’éducation, et appellera à "revoir en profondeur" la réforme des retraites, tant sur son financement que sur l’âge de départ. Rien que ça."Allô Yannick ?" Fin novembre, le numéro de Raphaël Glucksmann s’affiche sur le smartphone de Jadot. Le premier a invité l’écolo à sa rentrée politique à La Réole, tous les deux ont bénéficié du même électorat aux européennes, et du même succès. Alors l’ancien essayiste réfléchit, tâtonne… Rêvons grand : Place publique pour diriger Paris grâce à la candidature du sénateur ? L’intéressé fait la moue, toujours pas décidé à passer la première dans la course à l’Hôtel de ville. L’idée semble, en revanche, plaire à Anne Hidalgo. Du côté de Place publique, certains démentent, d’autres assurent que l’option n’a pas été écartée.Maigre voix au chapitre, grandes aspirations. Benmouffok vient de récupérer les clés du nouveau QG de Place publique, un 100 mètres carrés en fond d’immeuble de la Rue Richer, dans le IXe arrondissement de Paris. Fini, les séances de bachotage en visio ou dans des cafés, alors que près de "200 personnes", dixit Glucksmann, hauts fonctionnaires et autres chefs d’agence, travaillent bénévolement (le parti n’a pas de salariés) sur un programme de "15 axes et 47 sous-axes", dont il promet d’accoucher au mois de juin de cette année. Parfois, il "crash-teste" quelques-unes de ses mesures avec des grands patrons, car "la social-démocratie qu’il veut réinventer n’est pas l’éloge de la modération". Pour quoi faire ? Pour ne pas être pris de court en cas de nouvelle dissolution, bien sûr. "Je serai une vigie démocratique, un leader du camp démocrate face aux tempêtes qui arrivent", tout simplement. Et pour 2027 ? "Celui qui oriente sa vie selon cette échéance n’a pas très bien compris le moment que l’on est en train de vivre." Son entourage traduit les hésitations : "Soit il y a un espace large, le PS se libère de Mélenchon, et on tente quelque chose car seul Raphaël peut le faire. Soit c’est vicié de l’intérieur, Mélenchon met une pression telle que les socialistes se rangent derrière lui et ça devient compliqué pour nous.""Le 1er mai, il s’est passé quelque chose dans sa tête"Raphaël Glucksmann, pour l’heure, travaille et structure sa mouture, tel est le message qu’il faut faire passer. Le nombre d’adhérents de son mouvement, fondé fin 2018, a bondi de 1 500 à près de 11 000. "Le parti est au défi d’une crise de croissance", souffle un ami de l’essayiste,
alors qu’un congrès doit avoir lieu prochainement pour adapter la structure à cette nouvelle dimension. Patron d’un "mouvement de masse" - à quelques militants près -, tout un travail ! A bas bruit, quelques historiques de son parti l’estiment "trop peu unitaire" par rapport à la promesse initiale. "Le parti a changé depuis ces élections européennes, alors que je m’étais engagée dès le départ sur une idée d’union des gauches, dit Anaïta David, référente jeune qui en a claqué la porte. Certains militants qui sont restés placent de l’espoir dans ce congrès".En privé, Olivier Faure aussi estime qu’il en fait un peu trop avec Jean-Luc Mélenchon. "Le 1er mai, il s’est passé quelque chose dans sa tête et il n’en est jamais revenu totalement", confie-t-il aux siens, en référence au jour où Glucksmann a été évincé d’une manifestation par des militants communistes qu’il avait pris pour des insoumis. Récemment, l’essayiste a vu son bras droit, Pierre Natnaël Bussière, son spin-doctor des européennes et fidèle de la première heure, prendre du champ pour des raisons personnelles. Mais également parce que les négociations du NFP ont, chez lui, "blessé un idéal". De ce dernier, il réutilise régulièrement la formule pour illustrer son positionnement politique : "Ni Jupiter, ni Robespierre".Bonjour Léa Salamé, c’est Gilles Legendre. Durant l’été, l’ancien patron des macronistes à l’Assemblée, voisin de vacances de Raphaël Glucksmann, convie le couple et l’ancien conseiller d’Emmanuel Macron Philippe Grangeon, accompagné de son épouse, pour rompre le pain à Saint-Florent. L’ex-député Renaissance est ressorti "admiratif" de cette rencontre. Ainsi Glucksmann, qui revendique son dialogue avec le centre, cultive ses réseaux en Macronie déchue, et échange régulièrement avec Clément Beaune. Ce même été, Olivier Faure, dans une de leurs dernières conversations, l’avait prévenu : "Raphaël, tu ne peux pas être le candidat de l’aile droite de la gauche." Les opposants au premier secrétaire du PS, eux, continuent de mettre en scène leur complicité avec Glucksmann. Sans oublier de l’observer. Le 18 novembre dernier, François Hollande l’a discrètement reçu à son bureau, rue de Rivoli : ensemble, ils ont discuté de l’avenir de la social-démocratie, et de la façon dont "organiser cette fraction du paysage politique" - certains espèrent opérer un rapprochement entre Place publique et le Parti socialiste. L’intéressé n’avait pas l’air très allant. Quelques mois plus tard, Raphaël Glucksmann salue les "bougés" de la direction socialiste, qui a affirmé ses distances avec Jean-Luc Mélenchon. "On est maintenant sur une même ligne politique", se réjouit-il à propos du PS. Olivier Faure et son ancienne tête de liste ont logiquement renoué. Alors, avec les roses, "tout est sur la table, à condition qu’il y ait une ligne politique claire", insiste-t-il.Au soir de la censure de Michel Barnier (https://www.lexpress.fr/politique/michel-barnier-ce-que-le-premier-ministre-a-en-tete-au-dela-du-budget-2THSTYBCYJBQBI6DM6P3XOQDNE/), certains ex-macronistes soufflaient son nom pour remplacer le futur ex-Premier ministre. Il n’en faut pas davantage pour que d’autres le disent instrumentalisé. Raphaël Glucksmann, lui, se cherche encore.
"Economiser 12 000 milliards grâce au renouvelable, c’est possible !" : les calculs fous de Doyne J. Farmer
https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/economiser-12-000-milliards-grace-au-renouvelable-cest-possible-les-calculs-fous-de-doyne-j-farmer-SKBYC5MOLZHFDKJHYNGIEKQ2GA/
C’est l’histoire d’un jeune garçon de Silver City (Nouveau-Mexique) qui, du haut de ses vingt-quatre ans, réussit à déjouer le hasard des casinos de Las Vegas avant de passer dix années au laboratoire du physicien Robert Oppenheimer (https://www.lexpress.fr/sciences-sante/oppenheimer-vu-par-deux-specialistes-le-film-minimise-le-danger-des-armes-nucleaires-UQAJ6IQFFZG7VMKQYUE2MJP5PE/)à Los Alamos, de s’imposer à Wall Street, et qui s’apprête aujourd’hui à révolutionner l’économie. Cette histoire, au croisement de The Social Network et Un homme d’exception, n’a rien d’un film (mais pourrait bien inspirer les grands d’Hollywood). C’est celle de Doyne J. Farmer, aujourd’hui professeur en science des systèmes complexes de la prestigieuse université d’Oxford, qui publie Making Sense of Chaos, un ouvrage (non-traduit) classé par le Financial Times parmi les meilleurs nouveaux livres économiques en 2024. La vision de l’auteur, dont le magazine britannique prédit qu’elle "sera sans aucun doute déterminante pour l’évolution de l’économie", est la suivante : la théorie économique traditionnelle, dont les prédictions reposent sur certains piliers telle la rationalité des individus, serait aujourd’hui trop limitée pour répondre aux enjeux que pose notre époque. Difficulté que l’économie de la complexité - un champ d’étude reposant sur un mélange de jugement humain, de données très précises et de puissance informatique - dont Farmer est spécialiste, serait en mesure de contourner.L’histoire de cette conviction mérite d’être racontée par le début : dans le rouge saturé d’une salle de jeux de Las Vegas, en 1976. Là où Farmer a réalisé avec un groupe d’amis son premier fait d’armes, à savoir battre le très aléatoire jeu de la roulette à l’aide d’un micro-ordinateur portable mis au point par leurs soins (un exploit en soi) dissimulé dans une chaussure. "Cette expérience a véritablement forgé ma vision de l’économie sur le plan métaphorique : la qualité d’une prédiction dépend de la précision des informations recueillies pour y parvenir, raconte-t-il à L’Express. […] Mais entre nous, les sociétés de trading sont de bien meilleurs casinos. Vous ne risquez pas de vous faire jeter dehors si vous gagnez trop (rires)." L’incise n’est pas choisie au hasard : avec la Prediction Company, qu’il a cofondée avec son ami d’enfance Norman Packard en 1991, Doyne Farmer a réalisé des gains hors normes grâce aux principes de… l’économie de la complexité ! La même qui l’a conduit à réaliser en 2020 la prédiction la plus précise réalisée concernant l’impact de la pandémie de Covid-19 sur le PIB britannique, devant celle de la banque d’Angleterre.Cinq ans plus tard, Doyne Farmer livre une réflexion décapante sur les lacunes de l’économie traditionnelle (https://www.lexpress.fr/economie/politique-economique/finances-publiques-les-economistes-nous-ont-ils-menti-LBYSMDMHWNEFDJIVKLENQMJQQE/), mais surtout les bénéfices que pourrait réaliser sa discipline dans de nombreux domaines. Auprès de L’Express, ce spécialiste remonte le temps pour expliquer comment, grâce à sa matière, nous aurions pu "voir venir la bulle immobilière" responsable de la crise des subprimes de 2008. Doyne Farmer revient également sur l’une de ses prédictions les plus surprenantes, qui concerne la lutte contre le changement climatique. Et qui pourrait nous faire économiser beaucoup d’argent. Entretien.L’Express : Au début de votre ouvrage, vous revenez sur une expérience qui a eu un impact majeur sur votre trajectoire vers l’économie de la complexité. Encore étudiant, vous avez réussi à battre le hasard du jeu de la roulette d’un casino avec un groupe d’amis. Ce qui vous a d’ailleurs valu une mention dans le documentaire
https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/economiser-12-000-milliards-grace-au-renouvelable-cest-possible-les-calculs-fous-de-doyne-j-farmer-SKBYC5MOLZHFDKJHYNGIEKQ2GA/
C’est l’histoire d’un jeune garçon de Silver City (Nouveau-Mexique) qui, du haut de ses vingt-quatre ans, réussit à déjouer le hasard des casinos de Las Vegas avant de passer dix années au laboratoire du physicien Robert Oppenheimer (https://www.lexpress.fr/sciences-sante/oppenheimer-vu-par-deux-specialistes-le-film-minimise-le-danger-des-armes-nucleaires-UQAJ6IQFFZG7VMKQYUE2MJP5PE/)à Los Alamos, de s’imposer à Wall Street, et qui s’apprête aujourd’hui à révolutionner l’économie. Cette histoire, au croisement de The Social Network et Un homme d’exception, n’a rien d’un film (mais pourrait bien inspirer les grands d’Hollywood). C’est celle de Doyne J. Farmer, aujourd’hui professeur en science des systèmes complexes de la prestigieuse université d’Oxford, qui publie Making Sense of Chaos, un ouvrage (non-traduit) classé par le Financial Times parmi les meilleurs nouveaux livres économiques en 2024. La vision de l’auteur, dont le magazine britannique prédit qu’elle "sera sans aucun doute déterminante pour l’évolution de l’économie", est la suivante : la théorie économique traditionnelle, dont les prédictions reposent sur certains piliers telle la rationalité des individus, serait aujourd’hui trop limitée pour répondre aux enjeux que pose notre époque. Difficulté que l’économie de la complexité - un champ d’étude reposant sur un mélange de jugement humain, de données très précises et de puissance informatique - dont Farmer est spécialiste, serait en mesure de contourner.L’histoire de cette conviction mérite d’être racontée par le début : dans le rouge saturé d’une salle de jeux de Las Vegas, en 1976. Là où Farmer a réalisé avec un groupe d’amis son premier fait d’armes, à savoir battre le très aléatoire jeu de la roulette à l’aide d’un micro-ordinateur portable mis au point par leurs soins (un exploit en soi) dissimulé dans une chaussure. "Cette expérience a véritablement forgé ma vision de l’économie sur le plan métaphorique : la qualité d’une prédiction dépend de la précision des informations recueillies pour y parvenir, raconte-t-il à L’Express. […] Mais entre nous, les sociétés de trading sont de bien meilleurs casinos. Vous ne risquez pas de vous faire jeter dehors si vous gagnez trop (rires)." L’incise n’est pas choisie au hasard : avec la Prediction Company, qu’il a cofondée avec son ami d’enfance Norman Packard en 1991, Doyne Farmer a réalisé des gains hors normes grâce aux principes de… l’économie de la complexité ! La même qui l’a conduit à réaliser en 2020 la prédiction la plus précise réalisée concernant l’impact de la pandémie de Covid-19 sur le PIB britannique, devant celle de la banque d’Angleterre.Cinq ans plus tard, Doyne Farmer livre une réflexion décapante sur les lacunes de l’économie traditionnelle (https://www.lexpress.fr/economie/politique-economique/finances-publiques-les-economistes-nous-ont-ils-menti-LBYSMDMHWNEFDJIVKLENQMJQQE/), mais surtout les bénéfices que pourrait réaliser sa discipline dans de nombreux domaines. Auprès de L’Express, ce spécialiste remonte le temps pour expliquer comment, grâce à sa matière, nous aurions pu "voir venir la bulle immobilière" responsable de la crise des subprimes de 2008. Doyne Farmer revient également sur l’une de ses prédictions les plus surprenantes, qui concerne la lutte contre le changement climatique. Et qui pourrait nous faire économiser beaucoup d’argent. Entretien.L’Express : Au début de votre ouvrage, vous revenez sur une expérience qui a eu un impact majeur sur votre trajectoire vers l’économie de la complexité. Encore étudiant, vous avez réussi à battre le hasard du jeu de la roulette d’un casino avec un groupe d’amis. Ce qui vous a d’ailleurs valu une mention dans le documentaire
Breaking Vegas (2004, History Channel), mais aussi au sein du prestigieux Heinz Nixdorf Museums Forum. Quel était le rapport avec l’économie de la complexité ?Doyne J. Farmer : En fait, c’était purement de la physique, car il s’agissait de calculer la vitesse de la balle et du rotor pour en déduire la position d’arrivée la plus probable de la balle. À l’époque, nous avions mis au point ce qui s’est avéré être le premier ordinateur portable, dissimulé dans une première version sous une aisselle, puis dans une chaussure. Nous savions qu’il s’écoulait en moyenne 15 secondes entre le moment où le croupier jetait la balle sur la roue et celui où il fermait les paris. Une première personne, souvent moi, était chargée d’envoyer des signaux au bon moment à l’ordinateur en appuyant sur des interrupteurs à l’aide de mon gros orteil pour que la machine puisse ensuite résoudre l’équation. Puis une deuxième personne, à qui le résultat obtenu par la machine était ensuite transmis, plaçait les paris. De la physique, donc, mais cette expérience a véritablement forgé ma vision de l’économie sur le plan métaphorique : la qualité d’une prédiction dépend de la précision des informations recueillies pour y parvenir. Nous avons toujours battu la maison. Mais entre nous, les sociétés de trading sont de bien meilleurs casinos. Vous ne risquez pas de vous faire jeter dehors si vous gagnez trop (rires). C’est pourquoi, quelques années plus tard, j’ai créé avec mon ami d’enfance Norman Packard la Prediction Company, avec laquelle nous avons fait du trading pour des banques pendant plus de dix ans en nous fondant sur les principes de l’économie de la complexité [NDLR : l’entreprise a été revendue à la banque suisse UBS pour 100 millions de dollars en 2005].Selon vous, la science économique dans son ensemble aurait besoin d’une mise à jour radicale basée sur l’économie de la complexité. Pourquoi cela ?Je ne prétends pas qu’il faille complètement se débarrasser de l’économie traditionnelle telle que nous la connaissons. Mais je soutiens qu’au vu des défis que pose notre époque, ses capacités sont restreintes. De fait, lors de grandes crises telle celle des subprimes de 2008 ou la pandémie de Covid-19, nos modèles économiques classiques ont souvent échoué à donner des orientations efficaces aux politiciens. Non pas parce que les économistes sont particulièrement mauvais, mais parce que le modèle standard sur lequel reposent toutes nos théories économiques est limité.Je m’explique : la théorie économique standard repose sur trois piliers, la maximisation de l’utilité, l’équilibre, et la rationalité des individus. En bref, les économistes partent du principe que chaque individu a des préférences – ce que l’on appelle l’utilité – et que, sur la base de ces préférences, il va faire des choix selon la logique du "plus, c’est mieux". C’est la maximisation de l’utilité. Par exemple, les ménages aiment consommer le plus possible. Les entreprises, quant à elles, veulent faire le plus de bénéfices possibles. Quel que soit le cas de figure, la théorie économique suppose que les individus prendront les meilleures décisions possibles pour maximiser leur utilité – que ce soit en termes de consommation ou de profits. Enfin, dernière assomption, une décision ou transaction ne pourrait avoir lieu que lorsqu’il y a équilibre, c’est-à -dire que l’offre est égale à la demande.Le problème de cette approche est que la réalité est souvent beaucoup plus compliquée. Par exemple, tout le monde ne prend pas toujours la décision la plus rationnelle. Même s’il est bien connu qu’un long trajet pour aller au travail rend malheureux et que l’argent ne fait pas forcément le bonheur, nous sommes nombreux à choisir de prendre un emploi loin de notre domicile car nous estimons que nous serons mieux payés et donc plus heureux. Les gens prennent donc souvent des décisions qui vont à l’encontre de la rationalité. L’économie de la complexité, justement, permet de prendre en compte ce type de
situation. A la différence de la théorie classique, nous cherchons à comprendre comment les gens prennent vraiment leurs décisions dans le monde réel, en tenant compte d’un maximum de paramètres susceptibles de peser dans la balance pour anticiper les effets de ces choix.Mais comment déterminez-vous les paramètres à prendre en compte ? On imagine une infinité de possibilités…Forcément, cela requiert une certaine part de jugement, mais aussi la puissance des ordinateurs, car il faut intégrer de nombreux paramètres. Il s’agit de sélectionner et compiler des données empiriques qui vont nous permettre de déterminer avec précision comment les individus interagissent et comment ils prennent leurs décisions. Sans présumer, j’insiste, qu’ils feront forcément le meilleur choix possible pour y parvenir. Pour cela, nous allons parler à ceux qui seront amenés à prendre ces décisions – par exemple, un certain type de ménages - mais aussi interroger des psychologues pour comprendre l’impact de tel ou tel environnement sur le choix des individus, ou encore collecter des données démographiques auprès des organismes compétents pour tenir compte du niveau de richesse, de l’âge, de la géographie… Une fois toutes ces informations agrégées au sein d’un programme informatique, nous allons procéder à des simulations pour voir comment les "agents" que nous étudions pourraient réagir à tel ou tel événement. Et le programme tourne, encore et encore, comme une boucle. Les agents prennent des décisions, celles-ci ont un impact sur l’économie, laquelle peut donc générer de nouvelles informations, et ainsi de suite. Comme vous le voyez, cette approche est beaucoup plus souple et adaptée à la réalité que la théorie traditionnelle.En 2008, les économistes ont été contraints de simplifier la réalité pour résoudre leurs équationsDans votre ouvrage, vous donnez à voir les progrès que pourrait accomplir l’économie avec cette méthode en faisant l’analogie avec les prévisions météorologiques…Oui, car l’évolution des prévisions en la matière est tout simplement fascinante ! Jusqu’en 1980, celles-ci étaient établies en étudiant des situations météorologiques passées similaires à ce qui était observé dans le présent, avec une grande part de subjectivité et l’application de quelques règles empiriques. Le problème, là aussi, n’était pas que les prévisionnistes étaient mauvais. Mais que leur méthode était intrinsèquement limitée. Puis John Von Neumann, le père des ordinateurs, a mis au point un modèle de prévision numérique, dont la pertinence dépendait de la puissance informatique, de la précision et de la granularité des mesures météorologiques incorporées dans les simulations. En somme, la plus-value de son modèle tenait au fait qu’il partait d’informations détaillées pour en déduire une tendance globale. Ce n’était pas le cas jusqu’alors.Pour faire des prévisions économiques pertinentes, nous devons faire quelque chose de similaire. De la même façon que les météorologues prennent aujourd’hui en compte un grand nombre de mesures différentes pour déterminer le temps qu’il fait dans les Rocheuses américaines ou dans les Alpes, les économistes doivent commencer par prendre des mesures économiques approfondies et granulaires pour faire des prévisions réalistes.Mais je fais aussi cette analogie pour une deuxième raison : il a fallu plus de trente ans pour que la méthode de Von Neumann ne modifie drastiquement la qualité des prévisions météo. Mais lorsqu’elle s’est imposée, elle a tout changé car celle-ci nous donne une meilleure capacité de planification, ce qui présente d’énormes avantages économiques pour l’aviation, le transport maritime, la gestion des ouragans et bien d’autres activités humaines. Aujourd’hui, il existe même une sorte de "loi de Moore" pour les prévisions météorologiques qui dit que tous les dix ans, les prévisions météorologiques pour un nombre donné de jours deviennent aussi bonnes qu’il y a dix ans pour un jour de moins. C’est-à -dire que les
prévisions à cinq jours sont aujourd’hui aussi bonnes que les prévisions à quatre jours d’il y a dix ans. Pour que l’économie de la complexité devienne la référence, je ne pense pas qu’il faudra 30 ans, mais probablement 5 à 10 ans. Mais il y a urgence, car les crises qui affectent le monde sont de plus en plus complexes. Il faut donc y répondre avec une méthode prenant en compte cette complexité.Un exemple de crise complexe est celle des subprimes de 2008. A l’époque, même les modèles macroéconomiques les plus sophistiqués des banques centrales avaient échoué à l’anticiper. A ce jour, de nombreux économistes débattent d’ailleurs encore de ses causes. Mais selon vous, l’économie de la complexité aurait pu permettre d’y voir plus clair…En effet. En 2008, la situation était d’une telle complexité qu’elle demandait de prendre en compte de nombreux facteurs. Ce qu’un modèle classique ne peut pas faire. A l’époque, les économistes ont donc été contraints de simplifier la réalité pour résoudre leurs équations. C’est pourquoi, comme me l’a raconté Simon Potter, l’ancien directeur de la recherche économique à la Fed de New York, lorsque la Fed a tenté de vérifier ce qui se produirait en cas de chute de 20 % des prix de l’immobilier, ses modèles ont conclu que cela ne représenterait pas grand-chose… Et puis la crise est arrivée et la bulle immobilière a éclaté. Dans mon livre, je cite l’ex-président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, qui, à l’époque, avait admis s’être senti "abandonné par les outils [économiques] traditionnels". Je pense qu’il avait raison. En fait, hormis quelques voix dans le désert, personne ou presque n’avait anticipé la possibilité que les propriétaires et les entreprises fassent défaut sur les emprunts qu’ils avaient contractés.J’en arrive donc à l’économie de la complexité. Peu après la crise financière de 2008, mon équipe a construit un modèle du marché immobilier de Washington reposant sur la simulation de l’achat et de la vente de maisons, que les agents immobiliers et les banques aient décidé d’accorder ou non des prêts aux ménages. Nous avons intégré une série d’informations détaillées provenant des autorités fiscales et du recensement américain, sur les transactions, les prêts, le type de maison - luxueuse ou non – les ménages, etc. Cela nous a permis d’effectuer des simulations basées sur différents scénarios. Lorsque la politique de remboursement de prêt était trop laxiste, nous obtenions la formation d’une bulle financière. Mais quand celle-ci était plus stricte, nous évitions la crise. Alors oui, on aurait pu voir venir la bulle immobilière.Quelques personnes ont tout de même perçu les dangers d’un éventuel effondrement du marché immobilier…Oui, mais personne n’a vu la crise financière mondiale qu’il provoquerait. Le problème était que les institutions financières du monde entier détenaient toutes des titres adossés à des créances hypothécaires américaines, qui étaient considérés comme un investissement sûr et rentable. Lorsque le marché immobilier s’est effondré, la valeur des titres adossés à des créances hypothécaires a chuté, ce qui a mis à mal les bilans de toutes les grandes banques et a eu pour effet de tarir les prêts et de paralyser l’économie. Il s’agissait d’un problème systémique, du type de ceux que les modèles traditionnels ont du mal à traiter, mais que les modèles de l’économie de la complexité traitent facilement. Si nous avions disposé de tels modèles, je pense que nous aurions pu prévoir ce qui allait arriver, ce qui aurait peut-être permis d’éviter que les choses ne se passent aussi mal.Pendant la pandémie de Covid, vous avez développé un modèle pour le gouvernement britannique et prédit avec succès le coût économique pour le PIB et l’impact sur l’économie. A savoir un impact de 21,5 % du PIB au deuxième trimestre 2020 - contre 22,1 %, ce qui s’est finalement produit. Vos prévisions étaient meilleures que celles de la Banque d’Angleterre…C’est un bon exemple